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Nos oeuvres complètes

du mardi 30 mars au samedi 3 avril 1999 à la Minoterie, théâtre de la Joliette

L’objectif de Nos œuvres complètes est d’enfin répertorier en un catalogue raisonné la totalité de nos interventions publiques passées.
Auront toutefois la part belle celles de nos prestations qui n’ont jamais eu lieu, auraient pu avoir lieu ou ne verront jamais le jour. Nous prendrons soin de varier les modes d’approche : simple résumé, extrait littéral, analyse critique, détail agrandi, didascalies, description des costumes ; sans mention de date. Nous nous efforcerons de dégager la ou les idées maîtresses, pour peu qu’il y en ait, d’expliciter rétrospectivement nos intentions, de faire la lumière sur certains points obscurs, voire justifier à posteriori nos maladresses.
Résultat : encore un spectacle de Grand Magasin, interprété par les deux mêmes tâcherons, opus n+1.
Sera-t-il lui-même commenté dans Nos œuvres complètes ?
 

Grand Magasin est une entreprise de langage. Sur le mode wittgensteinien du Tractatus logico-philosophicus, elle s’attache à démonter les rouages de la langue, à flirter avec ses frontières et à en subvertir les codes établis. Le système Murtin-Hiffler traque l’évidence « les trous du gruyère disparaissent quand il fond », rétablit le calendrier en changeant les jours de la semaine, dissocie son et sens (bruit de sonnette associé à courant d’air), fête de nouveaux saints pour lesquels ils inventent de nouveaux miracles, etc... Ni surréalistes ni absurdes, les jeux de mots, ou plutôt de phrases, ne sont jamais complètement illogiques. La logique est diagonale. Elle prend en écharpe les lieux communs et les raisonnements tout faits.
Les démonstrations équivoques de Grand Magasin sont relayées par des boites, des outils, un matelas pneumatique, un tableau, des bâtons, un tabouret et, surtout, des ONI ou objets non identifiés et non volants, conçus et fabriqués
pour un usage aussi surprenant qu’évident. Mais à l’inverse du music-hall ou du cabaret, ils ne sont pas truqués et ne servent à aucun tour de passe-passe. Au contraire, Hiffler s’applique à annoncer la figure d’une carte qui ne correspond
pas à celle qu’il présente au public. C’est l’envers de la magie, donc la forme ordinaire du quotidien.
Le dérèglement peut être poussé jusqu’au point où, apparemment par hasard, signifié et signifiant correspondent. L’image de l’avion peut être accompagnée du message « avion ». Cependant l’occurrence est si rare et paraît si fortuite
qu’elle n’en fait que davantage ressortir l’arbitraire du signe. Saussure serait ravi.

Hervé Gauville,
Libération, extrait