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Films chorégraphiques

1990 - printemps

du 13 au 19 juin 1990 à 15h et à 21h, à l’Alhambra Ciné Palace

Playtime, 1967, en version intégrale 126’ , 70 mm, son six pistes, coul

Jour de Fête, 1949, 75 mn, n/b

Les vacances de M. Hulot, 1953, 96 mn, 35 mm, n/b
 

Playtime est sans doute le film le plus chorégraphique de Jacques Tati ; celui le plus pensé en terme de mouvement, où décors, couleur, son ne sont conçus que pour renforcer cette intention.
 

Dans Playtime, Monsieur Hulot s’efface, dilué dans l’espace. Il donne son personnage à d’autres, lui apparaît de temps en temps pour établir les liaisons, ponctuer. C’est sans doute, ce qu’on a le plus reproché à Tati, à la sortie du film, de n’être pas là où on l’attendait, de n’avoir pas fait Mon Oncle II. Mais son ambition est ailleurs : élargir le champ, éliminer le personnage central au profit d’une multitude d’évènements, proposer une vision du cinéma accordée à sa propre vision du monde : un monde perpétuellement en mouvement, qui est là, livré à notre attention.
Playtime est l’épopée du monde moderne. Mais c’en est une véritable aussi pour Tati qui passe plus de cinq ans à la réalisation du film. Faute de trouver les décors naturels appropriés, il construit une ville sur quinze mille mètres carrés, toute de verre et d’acier. "Tati est architecte, peintre, plombier, électricien". Il ne laisse rien au hasard. Pendant le tournage, il règle lui-même les gestes de tous ses personnages, s’attache à définir la moindre nuance de couleur qu’il dit être pour lui un élément primordial au récit, passe une année entière sur le seul travail du son. Le film est comme on dit "un échec", le public boude. La critique est déçue. Henri Chapier le qualifie de "navet monumental".
Playtime restera pour Jacques Tati le film dont il se sentira le plus proche.
 

« Il faut faire la différence entre film visuel et film pensé » écrit Jacques Tati. « Playtime est tout le contraire d’un film littéraire, c’est plutôt écrit comme un ballet. C’est écrit en images. Je les dessine (assez mal), je raconte mon histoire en images, et la construction dramatique découle de cette vision. Je connais mon film par cœur, et sur le plateau, je ne regarde plus jamais le script. »
 

« Un spectateur m’a dit quelque chose qui m’a fait plaisir, il m’a dit qu’au bout d’un moment on avait soi-même envie d’entrer dans ce Royal Garden. Mais si on n’observe pas ce qui se passe, on s’ennuie, c’est évident. Si on passe son temps à attendre ce qu’il n’y a pas dans le film, on rate ce qu’il y a. Il n’y a aucun effet pour l’effet : ce n’est pas parce qu’on ouvre une porte que cela entraîne un hold-up ! »
 

« Je me suis trouvé récemment au Portugal, dans l’hôtel le plus chic de Lisbonne, une chambre somptueuse, avec une immense salle d’eau, et la télévision (qui ne marchait pas), un vrai petit "Playtime". Je m’ennuyais là-dedans, et j’ai décidé de prendre un bain. Le carrelage était impeccable, les chromes des robinets lançaient des éclairs... Bon. J’ouvre le robinet, pfuitt ! le jet d’eau ne va pas dans la baignoire mais à côté. Je téléphone à la réception, en expliquant que le jet d’eau ne va pas dans la baignoire, on m’envoie un garçon. Il constate que le jet d’eau ne va pas dans la baignoire. On téléphone au directeur. On se retrouve tous dans le hall, le directeur, un peu gêné, me demande si je veux boire quelque chose. J’ai dit oui. On va boire quelque chose tous ensemble, les femmes de chambres sont arrivées, et au bout d’un moment, c’est devenu la surboum la plus réussie de Lisbonne, c’est tout juste si on ne m’a pas dit "Prenez votre bain, ne vous gênez pas pour nous !", alors qu’au début c’était inhabitable. Je voulais qu’on sente ça dans Playtime. »
 

« Avec Playtime c’est exactement cela que je voulais, faire participer un peu plus les gens, les laisser changer de vitesse eux-mêmes, ne pas leur mâcher le travail. Tous les risques que j’ai pris ont été dans ce sens. S’il faut toujours mettre les points sur les i, ce n’est même plus la peine de vivre, on est dans le gros du bataillon..." »
 

Jacques Tati, in Les cahiers du cinéma n° 199, mars 1968