ressources événement Yvonne Rainer : Cinéma

Yvonne Rainer : Cinéma

1997 - hiver
2010 - printemps-été

jeudi 30 janvier 1997 à 21h au théâtre Toursky

En collaboration avec la Cinémathèque de la Danse à la Cinémathèque Française.
En présence de Patrick Bensard, directeur de la Cinémathèque de la Danse.


 
The man who envied women de Yvonne Rainer, 1984, 16 mm, 130’, couleur, sonore, v.o. sous titré en français

 
Trio A de Robert Alexander, chorégraphie et danse de Yvonne Rainer, 1978, 16 mm, 11’, NB, muet

 
Journeys from Berlin réalisation et chorégraphie de Yvonne Rainer, 1980, 16 mm, 125’, couleur, sonore, v.o. sous titré en français


 

« Dans mon cinéma, l’arène du film d’action a été remplacée par le risque psychologique. Pour moi, tout ça n’a jamais été très clair. Bien sûr, l’action a été remplacée par la parole, par les mots, par le langage dans toutes ses manifestations : l’imprimerie, la parole, le monologue, la récitation et la voix-off. a m’intéresse toujours. C’est en quelque sorte livré avec la réalisation de films à petits budget, mais il y a aussi, pour moi, une dimension morale et politique qui continue à être utile.
Je fais des films qui peuvent rendre les spectateurs fous, mais qui fournissent aussi cette arène dans laquelle ils ont de l’espace et du temps pour contempler leur propres questions ou leur propre place et leur propre position sur certaines questions. On peut dire que la façon dont j’utilise cette cadence très lente et ce temps allongé, ce cadrage répétitif, ces plans longs et de longue durée, me vient d’un concert de John Cage et La Monte Young dans les années soixante, au cours duquel, on écoutait, et son esprit commençait à partir. On pense à soi, on pense à ce qu’on a mangé au petit déjeuner. Il y a ce type de possibilité, ou de danger quand on fait ce genre de films. J’ai toujours été intéressée par le chevauchement des domaines privé et public. Comment on se montre dans la vie de tous les jours mais aussi pour les grandes occasions, la fête, la scène. Ce que l’on choisit de cacher ou de révéler. Ce n’est pas tout à fait un paradoxe, mais au cinéma j’évite l’action, je préfère l’immobilité, je préfère mettre toute l’action dans le discours ou le langage, alors que tous mes spectacles vivants étaient fondés sur l’activité, et même quand il y avait une immobilité, il n’en demeurait pas moins une suggestion de la présence physique, plus proche de l’action que des stratégies du langage de mes films.
C’est pour cela que j’ai mis si longtemps à faire un autre film. Je me suis sentie commencer à franchir cette frontière de la narration.
Je suis en train de la gratter. Je vais continuer de gratter, je crois, ce qui veut dire qu’une intrigue ne sera explorée que pour une durée limitée dans un film donné mais la façon dont je récuserai et dont je violerai la chose même que j’aurai installée continuera de m’intéresser en tant que stratégie.
Dans Journeys from Berlin, une actrice offre un grand moment de virtuosité avec la parole. Cette virtuosité fut possible parce qu’elle avait maîtrisé, pour ainsi dire, ce langage très élaboré qui est arrivé en amont. Je ne pensais bien sûr pas à une prestation d’actrice. Je la voyais passant du coq à l’âne, ou parlant de façon très théorique puis passant à un ton très intime, modifiant la syntaxe au milieu d’une phrase, faisant des reconstructions inconséquentes d’un langage cohérent, d’une description, du vol à la tire avec le sujet. On pourrait l’interpréter comme du discours automatique.
On a pu l’interpréter comme une séance analytique, parce que nulle part ailleurs la logorrhée est si obsessionnelle et le caractère obsessionnel de la logorrhée si primordial.
Alors, oui, je cours le risque de faire d’elle un nouvel objet de fascination, mais de la façon dont l’était la présentation de moi-même quand je dansais. Je pense que cet aspect est utile au langage. Elle devient un personnage mais reste le serviteur du langage, de l’écriture.
Je ne fais pas de ces films éducatifs où on n’a pas le droit de rigoler. Je m’intéresse à l’aspect ludique des choses, à l’interjection de matériaux qui divertissent de quelque chose qui a duré trop longtemps ou qui est trop statique. »

Yvonne Rainer De l’art et des artistes
in Profile, trad. David Pini, 1984